Salut les amis!
Je vous envoie l'histoire de ma 15 verte, comme promis.
J'espère que vous ne trouverez pas ça trop long...
Tristan
J’avais passé les années 80 à rêver de Triumph TR3, de Ferrari 275 GTB ou de Pegaso.
Pegaso Z 102B (1954)
Puis, pendant les années 90, je m’étais éloigné de toute publication relative à l’automobile ancienne. Les voitures qui m’intéressaient resteraient – à jamais sans doute - hors de la portée de ma bourse.
Mais, un jour, je suis tombé sur une R15 TL blanche garée dans la rue de la Fidélité, et j’ai rencontré la voiture de ma vie.
Depuis cette rencontre, j’étais obsédé par cette voiture.
J’étais fou.
J’allais, la bave aux lèvres, dans des cafés-internet sous le fallacieux prétexte d’envoyer mes travaux par le net à des clients helvètes ou japonais, pour me rincer l’œil sur des sites étrangers consacrés aux 15 et 17. Des sites suédois (où les inventeurs du cinéma porno se souvenaient encore de la grande époque) ou australiens, dans lesquels des émules de Mad Max célébraient un culte à ces 15 et 17 qui, ayant émigrés voici trente ans depuis leur Maubeuge natal, les accompagnaient aux antipodes dans leurs courses lointaines.
Le site de l’Amicale n’était alors que vagissant, et ses rubriques s’ouvraient sur l’image d’une 17 orange montrant les dessous de ses jupes sur une chaîne de montage avec la mention « en travaux ». C’était très excitant, mais frustrant.
Les publications spécialisées restaient muettes sur ces chefs d’œuvre de l’automobile française. Sauf un vieux « Rétromania » n°15 (sic), trouvé chez mon frère, qui annonçait crânement qu’on pouvait toutes les envoyer à la benne, mis à part peut-être la 17 Gordini phase 1.
Le milieu de la voiture ancienne s’alliait-il donc au milieu de la voiture récente pour envoyer les 15 et 17 dans les enfers, telles des Eurydices mordues par des serpents rampants dans leurs Audi TT ou Renault Mégane?
Et bien, je serais un Orphée qui irait chercher une Renault 15, et la ramènerait des enfers sans même la regarder, de peur de la perdre.
J’étais donc un des rares défenseurs de ces automobiles, et il me tardait d'en acheter une quand bien même je n’avais pas le permis de conduire. À mesure que les jours passaient, les 15 et 17 devenaient sûrement de plus en plus rares, disparaissant dans des compresseurs comme des grains de quartz au fond d’un sablier. Chaque annonce de vente d’une R 15 me paraissait la dernière occasion d’en acheter une, car le monde des collectionneurs, s’apercevant de son intérêt intrinsèque associé à sa rareté, allait sûrement en faire un véhicule aussi inaccessible pour moi qu’une Bizzarrini Strada. La plupart des gens, aujourd’hui, ignorent toujours la valeur de cette voiture.
Bizzarrini 5300 Strada (1965)
À ce propos, mon frère - qui est libraire - m’a raconté qu’il avait eu récemment Louis Schweitzer comme client, et qu’il aurait dit au PDG de Renault que, selon lui, les Renault les plus intéressantes de l’après-guerre étaient les R15 et R17. Schweitzer lui aurait répondu « Vous n’êtes pas très nombreux ».
Je regardais donc attentivement les journaux d’annonces. Je m’étais remis à acheter « La Vie de l’Auto » dans lequel mon regard, loin de parcourir ces articles vantant les mérites des caisses carrées et des caravanes Notin, se dirigeait immédiatement sur les annonces de ventes de R15 Phase 1. Parfois, il y en avait jusqu'à six à vendre. D’autres fois, il n’y en avait aucune.
J’étais au supplice.
Je me décidais finalement à répondre à une annonce parue dans Gazoline, que j’avais déjà vue plusieurs fois dans ce magazine, mais que j’avais boudée parce que, la voiture étant de 1976, je croyais qu’il s’agissait d’une phase 2, ce qui m’intéressait moins (l’erreur du débutant, diront les fans de la phase 2).
La voiture était à Orly.
Ah ! Orly ! J’y suis allé comme si j’allais prendre l’avion pour une destination lointaine, et je suis revenu en planant.
J’ai loué une Clio, et j’y suis allé avec mon frère. Nous avions rendez-vous près de la Gare.
Une jeune femme, un peu replète dans une Super 5 fatiguée, vint nous chercher pour nous guider vers une résidence à l’architecture post-moderne (pas plus de 3 étages), où serpentait une ruelle en colimaçon.
J’étais dans la spirale.
La 15 était là, simplement garée devant la maison comme une émeraude posée dans un caniveau. Elle m’apparut totalement exotique. Sa carrosserie était d’un vert métallique pareil à celui des élytres d’une cantharide (coléoptère dont on disait que la consommation était aphrodisiaque). J’avais l’impression d’être devant une voiture de salon, un prototype, une soucoupe volante. De plus, j’imaginais, s’agissant d’une des dernières phases 1 avec cette teinte de phase 2, qu’elle était unique au monde (cela s’est révélé inexact quand j’en ai vu une toute pareille à la dernière Locomotion en fête. Mais bon… Elvis aussi avait un frère jumeau).
La propriétaire, après nous avoir fait moult compliment sur sa voiture, nous fit admirer la sellerie foutue, les ailes pourries (surtout a l’intérieur du compartiment moteur), puis nous proposa de faire un tour.
Je ne sais pas si l’état des pneus (à changer), ou celui des amortisseurs (morts), étaient en cause, mais –vu de l’arrière où je m’étais installé- le train arrière se baladait de droite à gauche pendant la démo. Les freins, eux, étaient en pleine forme, ce que la conductrice n’hésita pas à nous démontrer plusieurs fois en pilant.
De retour au bercail, j’étais fou de cette poubelle, mais je me suis dit que ce n’était pas convenable de céder tout de suite. Bref, retour à Paris les yeux hallucinés, moi en train de déblatérer sur cette découverte, mon frère tentant de me ramener à la raison.
Coup de fil à Monsieur Latournerie, qui, de sa voix calme m’explique que cette voiture ne peut valoir plus de 5000 francs (la dame en voulait 8000), qu’il ne faut pas sauter sur la première occasion mais en voir d’autres, être patient et dur en affaire. Trop tard : je suis Gene Hackman dans « French Connection 2 », le bras tendu pour avoir une injection d’héroïne (pour moi, ce sera une R15 TL).
Les jours passent, je reçois les polaroids d’une 15 blanche, qui se trouve dans le Sud, avec la photocopie d’un contrôle technique retouché au Typex.
J’appelle la proprio de la 15 verte une fois par semaine. C’est la roulette russe : le combiné comme un pistolet sur la tempe, je suis mort de peur à l’idée de rater cette épave.
Je suis pourtant à la lettre les conseils de Monsieur Latournerie (que ses doctes conseils et sa voix calme me font imaginer avec la tête de Yoda) : je n’hésite pas à rappeler le mauvais état général de la voiture pour faire baisser le prix.
Pour cette dame, le temps presse. Des acheteurs potentiels, je dois être le plus régulier. Finalement nous tombons d’accord sur le prix de 5500 francs.
Le 27 juillet 2001.
Je reprends rendez-vous, me pointe à nouveau –cette fois avec mon frère et ma copine Lucille- et là, bizarrement, la propriétaire est absente. Apparemment elle ne souhaitait pas assister au départ de sa voiture. Ce sont ses parents -qui se sont mariés dans la 15 alors qu’elle appartenait au frère de Madame- qui nous accueillent. C’est le 27 juillet, il fait très chaud. Nous buvons un verre de jus d’orange, et puis je leur demande si –par hasard- il n’existerait pas des objets ou des documents liés à la R15, qui pourraient m’être cédés avec elle. Quelques instants plus tard, le Monsieur m’amène un vieux PR sans couverture que son beau-frère utilisait lorsqu’il allait acheter des pièces chez Renault, car il faisait les réparations lui-même. Cet objet m’est présenté comme un recueil fort rare. Mon frère me raconta, plus tard, que j’attrapais cet incunable avec le geste prompt et le regard indifférent d’un orang-outang auquel on lance une pistache.
La vérité c’est que j’étais en plein trip.
Je finis par sortir mon chéquier, tout en rappelant la somme convenue avec leur fille. Ils firent des têtes d’enterrement. Au moment de sortir de la maison pour rejoindre ma nouvelle conquête, un orage éclata et une pluie diluvienne, comme j’en ai rarement vue, se mit à tomber. En peu de temps, la chaussée se recouvrit d’une hauteur d’eau de dix centimètre.
À un moment, Lucille - qui était au volant- fut obligée de traverser ce qui était devenu une sorte de rivière, et je fus aspergé d’eau par un trou mystérieux au-dessous de la boîte à gants.
Retour à Paris avec la huitième merveille du monde. Coup de fil à Latournerie pour lui annoncer ma prise, le remercier pour ses conseils avisés, et prendre rendez-vous pour une auscultation (Lionel Latournerie est mécanicien auto). Nous avons rendez-vous au Norauto du Baobab de Neuilly-Plaisance, où travaille Monsieur Latournerie.
Le Baobab.
Arrivés là-bas nous sommes, Lucille et moi, très sobrement accueillis par un jeune homme au physique avantageux, exactement tel que j’imaginai San Antonio, genre mannequin des années 70.
« Tu crois que c’est lui ? » me susurre dans l’oreille Lucille.
Oui ! c’est le Président de l’amicale R15 R17 ! Le Grand Dragon Impérial ! King Yoyo ! L’homme pour lequel on a composé «Kung-Fu fighting» ! Oui ! C’était lui !
Incognito dans son habit de mécanicien, tel James Bond revêtu de l’uniforme d’un garde de Blofeld pour déjouer un complot planétaire, Lionel Latournerie invita Lucille à mettre la voiture sur le pont. Après une brève inspection des dessous de la voiture, il me fit remarquer quelques points noirs (plancher pourri, échappement à l’agonie…), puis il nous demanda, à Lucille et à moi, de patienter dans le hall voisin de l’atelier arguant de l’inopportunité de notre présence en ces lieux, comme un médecin prierait des parents d’attendre dans la pièce à côté pendant qu’il procède à quelque opération visuellement dérangeante sur leur enfant.
Monsieur Latournerie devait en effet vidanger la voiture et changer quelques éléments, tels que les filtres ou les balais d’essuies glace. Ayant achevé ces travaux sur la R15, il vint nous saluer et nous proposa de venir le lendemain dimanche à une réunion de voitures anciennes, derrière le château de Vincennes, où nous pourrions mieux faire connaissance. Nous vînmes le lendemain et nous eûmes le plaisir de rencontrer Nathalie, Lolo, Jérôme Lemoine, Admin., Cubi, et bien sûr Lionel, tous encore aujourd’hui à bord, et parfois même aux manettes, de ce vaisseau spatial, lancé aux confins de la galaxie, que nous connaissons tous sous le nom de « l’Amicale R15 R17 ». Il y avait aussi là nos amis d’une autre planète, les gens de l’Amicale R16. C’était sympa.
Une année s’écoula pendant laquelle l’état de la R15 ne s’améliora que modérément : des pneus neufs et des amortisseurs Koni furent montés sur la bête. Mais la carrosserie et la sellerie, elles, se dégradaient lentement par suite de vingt-cinq années de bons et loyaux services. Cette voiture avait passé les vingt et une premières années de sa vie à être chouchoutée, et les quatre dernières à coucher dehors. Quatre années qui auraient pu lui être fatales si je n’étais intervenu à temps. Sur le conseil du beau-père de mon frère aîné, collectionneur de voitures anciennes, je confiais cette admirable machine à un habile artisan bourguignon qui, pour une somme tout à fait raisonnable, accepta de refaire la carrosserie.
Je ne devais revoir ma tendre R15 que deux ans plus tard, au terme d’un travail de titan.
Support de l'aile droite.
Support de l'aile gauche.
Le plancher refait à l'avant.
Dessous.
Le flanc gauche.
Des morceaux de Renault 15.
Au sortir des forges de ce vulcain bourguignon, la R15 fut confiée à une autre divinité -de Livry-Gargan cette fois-ci- puisque la sellerie fut refaite par Monsieur Savaton.
La restauration n’est pas finie, il y a des améliorations à faire, mais cette voiture est sauvée.